Contestation
L'analyse faite de la proposition du ministère de l'immigration et de l'identité nationale dans la presse est très majoritaire: il s'agirait pour Nicolas Sarkozy de "flirter avec les idées de Jean-Marie Lepen" à des fins électorales.
A aucun moment on n'entend un journaliste ne pas remettre en cause la sincérité de Nicolas Sarkozy dans cette proposition.
Et si c'était vrai ? dirait Marc Lévy; et si Nicolas Sarkozy pensait sincèrement, avant de mesurer l'efficacité électorale de sa proposition, que pour bien intégrer les immigrés, il faut d'abord déterminer ce que veut dire être français (et comment appeler ça autrement qu'identité nationale?)?
La presse fait état des craintes que suscite cette appellation. Personne n'explique vraiment pourquoi d'ailleurs, les commentateurs se contentant généralement de qualificatifs assez fourre-tout er surtout très vagues du genre "trouble", ou encore "réminiscent d'une époque sombre", ce qui a le double avantage de ne pas engager le commentateur sur quoi que ce soit, et de pousser chaque téléspectateur à chercher en lui-même des motifs d'inquiétude. Nous voilà bien avancés !
A peine la proposition a-t-elle été formulée que toute la sphère médiatique s'est déjà emparé du nouveau sentiment à la mode, "la proposition polémique"... Sans jamais prendre le temps d'expliquer de quoi l'on parle; ainsi, là où l'on pourrait s'attendre à voir les journalistes chercher à l'étranger des exemples comparables de tels ministères, ces derniers ne partent en quête que des réactions des opposants de Sarkozy.
Dès lors, l'info n'est déjà plus "Sarkozy propose un ministère de l'immigration et de l'identité nationale", mais "Sarkozy suscite la polémique avec une nouvelle proposition".
Dans de telles conditions, comment espérer que les électeurs puissent se faire une idée du programme des candidats en s'affranchissant des commentaires caricaturaux de leurs opposants ? Les commentaires contradictoires sont très importants, à partir du moment où ils contredisent quelque chose d'établi... Malheureusement, nous nous retrouvons avec une société de communication où nous avons tant poussé la culture de la contestation à l'extrême que l'expression de la moindre idée nouvelle entraîne un embrasement systématique. C'est logique: les opposants à une idée font toujours plus de bruit que ceux qui la soutiennent. Conséquence: chacun devient frileux, personne n'ose plus rien dire, de peur de provoquer une polémique...
Et le plus drôle, c'est que, face à cette retenue compréhensible, on se plaint de la langue de bois des hommes politiques... Voici donc le contrat qui leur est proposé: ou ils décident de ne rien dire pour ne fâcher personne, et on les accuse de faire de la langue de bois, ou ils décident d'émettre des idées, en fâchant forcément quelques-uns, et on les taxe d'être irresponsables, peu réfléchis. Et nos hommes politiques doivent gouverner là-dedans ! Autant essayer de respirer à pleins poumons dans un sac plastique.
Je suis évidemment très attaché à la liberté d'expression et de contestation; mais il me semble que nous avons poussé le bouchon trop loin en la matière. A trop critiquer, on fragilise toute autorité, plus personne n'a de respect pour ceux qui nous gouvernent, le "tous pourris" devient la pensée majoritaire; la contestation, le réflexe; et le soutien à une position d'un homme politique, une marque d'allégeance aveugle doublée d'une faiblesse d'esprit.
Je trouve donc que l'on passe trop de temps à critiquer et pas assez à expliquer; si les journalistes n'adoptent pas bientôt un ton davantage pédagogue et moins sceptique par réflexe, les citoyens ne risquent pas d'adoucir leur perception des hommes politiques.